Il, et le père (#2)

Une semaine a passé. Il ne peut s’empêcher de revenir. Revenir voir s’il est. S’il est toujours. Ici.

Il ne peut s’empêcher de revenir sur ses pas. Ceux de la semaine dernière.
C’est drôle, les bruits sont différents aujourd’hui. Les salles sont les mêmes, mais les bruits sont différents. Pas les assiettes. Les assiettes sont toujours là. Leur bruit du moins. Il ne trouvera toujours pas le restaurant.

C’est le bruit des pas qui est différent. Le bruit des semelles. Évidemment, il y a toujours ceux qui traînent les pieds et ça, ça l’agace toujours. Mais cette fois il y a des semelles de caoutchouc qui produisent ce drôle de bruit de succion au rythme des pas pressés.
C’est étrange, les semelles suceuses de carrelage poli vont plus vite que les semelles traînantes. C’est systématique.
Les sculptures, elles, sont identiques. presque identiques.
Il ne voit plus la sensualité froide des corps parfaits et laiteux.
La douleur. Il voit la douleur. La douleur et la cruauté parfois.

Il le voit. Il essaie de le voir. De s’en souvenir. De se souvenir de ce corps allongé dans un lit d’hôpital. Le visage est détendu mais le corps souffre. C’est parce qu’il ne le sait pas, le visage, que le corps souffre. À cause des médicaments. Il reste le souffle. Le souffle se régule. C’est la mort qui vient.

Autour de lui dans la galerie il voit les membres manquants ou tordus. Les boursouflures ou les plaies béantes laissées par un cou ou un sein disparu. Il se dit que parfois la pierre est vivante.

Il le voit. Un autre. C’est un autre à présent. Mais lui aussi il est allongé dans un lit d’hôpital. Il est méconnaissable. Le visage, le torse, les bras. rien n’est comme dans son souvenir. C’est lui pourtant. C’est lui encore pour quelques instants.

Face à lui dans la galerie un personnage assis. Un corps flasque. âgé. La pose est fière mais la poitrine tombe. Il ne sait si c’est un homme ou une femme. Le corps est sans tête. Le reste ne permet pas de savoir. De longues coulures vertes d’humidité partent du col et dégringolent le long de l’habit. Le corps semble figé dans l’instant qui suit la décapitation. Il faut partir. Il doit partir.

Des bruits de succion se croisent et se poursuivent derrière lui. Ils racontent une histoire. Une histoire qui n’est pas celle de leurs propriétaires.

Il se retourne. son regard croise celui d’un iPad qui passe doté d’un corps de femme et de deux jambes énergiques. La réalité augmentée, cette fois.

Des enfants. sainement bruyants. Un vrai paysage sonore. pas juste un bourdonnement terne comme les autres. Ils ne traînent pas les pieds. Les bruits de succion sont légers et joyeux. Ils sont sérieux. Pas de photos. Un stylo, une feuille. Ça ne rigole pas. c’est un questionnaire.
Il se dit que ce sont sûrement les visiteurs les plus sérieux qu’il a croisés.

C’est l’heure.
Plan.
Vous êtes ici.
Encore.
C’est vrai. Il est. Ici.